La Bretagne dynamique et attractive, comme on la connaît aujourd’hui, est le fruit de longues années de reconquête. En effet, la région a longtemps été une terre de désolation et de pauvreté. Désormais, il faut compter avec un solde migratoire positif en croissance chaque année. Entre 1982 et 2010, 510.000 nouveaux habitants sont venus s’installer en Bretagne (chiffres Insee). La population a ainsi augmenté de 20 % sur cette période, dont 80 % à l’Est de la région. Un chiffre dont ne s’enorgueillit pas Jean Ollivro, géographe, enseignant et chercheur à l’université Rennes 2 et auteur de nombreux ouvrages sur la Bretagne. Interview.
La Bretagne n’a pas toujours été dynamique d’un point de vue démographique et économique. Pouvez-vous nous en raconter l’histoire ?
Non, la Bretagne vit un incroyable retournement de situation depuis 1968. Il faut se rappeler qu’entre 1832 et 1968, plus d’1,1 million de Bretons ont quitté le territoire. La Bretagne a connu un fort pic de départs entre 1946 et 1954. 254.000 Bretons ont été obligés de partir. C’était un pays de misère. L’agriculture qui jusqu’alors était une activité familiale s’est mécanisée. Les besoins en main d’oeuvre ont alors diminué mais le territoire s’est paupérisé. La Bretagne n’avait pas alors fait sa révolution industrielle, il n’y avait aucune dynamique tertiaire. Il faut se souvenir qu’en 1950, 90 % des Bretons n’avaient pas d’eau courante, et 50 % pas d’électricité.
Que s’est-il passé alors pour que la Bretagne soit aujourd’hui une terre de migration positive ?
Le rebond a été initié par le CELIB, le comité d’étude et de liaison des intérêts bretons créé en 1950 à l’initiative notamment de Joseph Martray dont le but est de promouvoir le dynamisme économique du territoire et son identité. La Bretagne a alors commencé à se réveiller. Le projet voit ses effets dès le milieu des années 60. Des élus intègrent le comité, des CCI, des syndicats ouvriers. Peu à peu, ils obtiennent l’arrivée de l’usine Citroën à Rennes, en 1961. Le plan routier en 1968, le barrage de la Rance en 1969, le port en eaux profondes de Roscoff en 1972 et l’installation d’universités et de grandes écoles aux quatre coins du territoire. On commence peu à peu à changer l’image de la Bretagne. Nous sommes dans les 30 glorieuses. Le renouveau économique du territoire est en train de se faire.
Ensuite, le solde migratoire s’accélère mais cela reste encore difficile pour les jeunes diplômés ?
Oui, le solde migratoire s’accélère progressivement au fil des années. La Bretagne attractive d’aujourd’hui vit un retournement de situation spectaculaire. Pour toutes les classes d’âges. Bien que le vieillissement structurel de la France soit un peu plus fort en Bretagne qu’ailleurs. Pour autant, pour les jeunes Bretons qui travaillent bien à l’école, cela reste difficile. Plus le niveau de diplôme est élevé, plus les étudiants partent. La région est attractive pour les niveaux d’études faibles. Il y a un réel exode des jeunes diplômés. C’est un cercle vicieux d’ailleurs. Il n’y a pas de centres de décisions en Bretagne, tout est centralisé à Paris, voilà pourquoi les jeunes diplômés quittent le territoire. Ils cherchent des postes à la mesure de leurs niveaux d’études avec des salaires et des compétences en adéquation avec leurs prétentions. Mais cela tend à s’inverser enfin à partir des années 2000.
Quelles sont les raisons de ce revirement ?
Depuis le début des années 2000, timidement, il y a un retour des jeunes diplômés. Ingénieurs, programmateurs, informaticiens reviennent en Bretagne. D’abord, parce qu’ils sont attachés à leur territoire. Les éléments identitaires de la Bretagne sont très forts. Ensuite parce que la société dématérialisée leur permet de le faire. Aujourd’hui la Bretagne est la seconde région de France en technologies de l’information et de la communication. 13 % des emplois informatiques nationaux sont situés en Bretagne. Il y a un fort vivier de compétences en matière d’image, d’internet, de technologies. Un savoir faire exceptionnel grâce à un terreau économique fait de jeunes pousses.
Et puis, ce qui contribue à ce retour c’est aussi le cadre de vie. La Bretagne est un pays où il fait bon vivre. Le prix du foncier est sans commune mesure avec Paris. Il permet d’être propriétaire plus facilement. D’ailleurs, la Bretagne compte 18 % de propriétaires de plus que dans le reste de la France. Et les ponts ne sont pas complètement rompus avec Paris. Les cadres qui s’installent à Vannes vont à Paris deux fois par semaine. Le reste du temps, ils travaillent à distance.
Pour autant, vous considérez que l’image que véhicule la Bretagne ne reprend pas encore tous ses atouts…
Le marketing territorial est essentiel. Il faut que chaque pays raconte une histoire. Les gens ignorent que la Bretagne est une terre de haute technologie. Ils ont l’image de la pollution des algues vertes alors qu’il y a une vraie filière de revalorisation derrière tout cela. Il y a tout un imaginaire à créer autour de la Bretagne, à destination des performeurs. Une région de modernité qui se différencie par son cadre de vie. Avec une forte dynamique agroalimentaire et maritime. Le premier pôle européen de la recherche maritime se trouve en Bretagne. Attirer de nouvelles populations c’est bien, mais il faut se demander ce qu’on veut vraiment pour notre territoire. Il faut viser l’excellence.